Ce récit est une fiction, quand bien même l’histoire serait en réalité la mienne. Si tout Luc tient dans Claude, Claude ne se résume certainement pas à Luc. Les faits racontés, s’ils peuvent se rapprocher d’évènements ayant réellement existé, ne sont que le résultat de ce que ma mémoire a conservé de cette époque, augmenté de ce que mon imagination a bâti autour, afin d’en faire une construction littéraire visant à soutenir l’intérêt du lecteur. Car j’aimerais que ce dernier ait envie de tourner chaque page en se demandant quelle sera la suite de l’histoire, comme dans les bons bouquins, oubliant l’auteur et ne se préoccupant plus que du récit.
En lisant ces pages, certaines personnes, notamment celles ayant traversé les moments que je décris, s’y reconnaîtront. Ce que je rapporte là d’elles, n’est pas la stricte vérité, mais l’expression de ce que ma mémoire d’enfant en a gardé, avec toute la subjectivité que cet exercice peut comporter. Aussi, il est fort possible qu’elles n’aient pas les mêmes souvenirs que moi des faits racontés, ou qu’elles n’en aient pas la même analyse. J’espère qu’elles me pardonneront la manière dont je les décris, ou les fait s’exprimer, parfois de façon trop caricaturale, et à n’en pas douter, inexacte.
L’un de mes objectifs a été de décrire et de faire revivre un lieu et une époque – le village dans lequel je suis né dans les années 1960, et raconter mon enfance. Plus j’avance en âge et plus cette période me parait hors du temps et décalée. Hors du temps, car le récit se situe dans un autre siècle, au sens propre comme au sens figuré, où très peu de ce qui était alors perdure encore aujourd’hui, aussi exotique (du grec signifiant qui nous est étranger), que la vie des dernières tribus sauvages de la planète, et décalée puisque ce village formait un microcosme qui ne correspondait déjà plus à la réalité de la France d’alors, comme une dernière enclave de la première moitié du vingtième siècle dans ces années soixante, pleines de promesses de modernité, un monde en sursis et déjà condamné.
Ce n’est pas un travail d’anthropologue que j’ai réalisé. Je me suis positionné comme acteur et témoin de ce qui a été, là, à ce moment, et pour ces gens. Faire revivre cette époque, c’est mesurer le chemin que j’ai parcouru depuis, rechercher un peu de cette légèreté propre à l’enfance, qui me fait si cruellement défaut aujourd’hui. Car mon objectif principal a été de me trouver, moi, en recherchant chez l’enfant que j’étais, la manière dont il avait appréhendé les évènements qu’il vivait. Les faits décrits correspondent à mes souvenirs, et ce que le temps en a fait. Si les évènements et la chronologie de l’histoire ne sont pas toujours exacts, par rapport à la réalité, c’est parce que je les ai arrangés, pour combler les lacunes de ma mémoire, et pour en faire un récit cohérent. Il m’a fallu aller fouiller dans les entrailles de ce passé, pour comprendre comment s’étaient mis en marche tous les mécanismes qui me font agir et réagir aujourd’hui, et trouver les faits déclencheurs de ces mécanismes.
Longtemps j’ai affirmé, et pensé sincèrement, avoir eu une enfance normale et heureuse, semblable à celle de milliers d’autres enfants. Je me trompais. C’est au cours d’une psychothérapie entreprise à l’âge adulte, que j’ai réalisé que cette enfance n’avait pas été aussi lisse et heureuse que ce que je voulais bien penser ou laisser croire, faite en réalité de traumatismes mal digérés et de dénis de la réalité. Pendant très longtemps, il m’a semblé tellement trop facile de penser que le fait perdre sa mère à dix ans pouvait expliquer certains déséquilibres ressentis à l’âge adulte, que j’avais complètement écarté cette hypothèse, en faisant de cet évènement à peine plus qu’une anecdote de mon enfance.
J’ai voulu chercher d’où venaient les tensions et la pression qui m’envahissent parfois de manière totalement inopinée, et comprendre ce qui les provoque. Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour réaliser cela a été de coucher sur le papier mes souvenirs, tels qu’ils me venaient spontanément, comme une catharsis capable de me libérer de l’enfant que j’étais. Y suis-je parvenu ? Je n’en ai pas encore la réponse.
Si je parle beaucoup de mon frère dans ce livre, l’associant très souvent aux évènements que j’ai traversés, c’est parce que nous étions très proches l’un de l’autre dans la période racontée, tellement différents, mais tellement liés. Notre faible différence d’âge, une année, l’étroitesse de note terrain de jeu, limité à notre village et ses alentours, ont fait que nous avons vécu les mêmes choses en même temps, côtoyant les mêmes personnes. Nous avons été élevés pratiquement comme des jumeaux, portant les mêmes écharpes et pull-overs tricotés par notre mère, coiffés du même béret noir, allant à l’école vêtus de la même blouse grise, dormant dans la même chambre. Nous avions les mêmes copains, les mêmes jeux. Nous étions en réalité fondamentalement différents, mais si complémentaires. Il me manque aujourd’hui.
Deux autres évènements, survenus depuis l’achèvement de la première version de ce récit, renforcent ma volonté de raconter mon enfance, le décès de Papa, et l’arrivée de mon premier petit-fils. J’ai toujours appelé mon père Papa, y compris devant les personnes moins intimes, tellement il est évident que l’on ne peut avoir qu’un papa, alors qu’on peut certainement avoir plusieurs pères. Je ne sais si mes petits-enfants liront un jour ce récit, je l’espère secrètement, tant il me parait important de leur expliquer leur Grand-père, et par voie de conséquence leur père. Leur raconter mon histoire, c’est essayer de leur montrer tout un autre pan de leur propre histoire, celui de ces paysans Beaucerons, qu’ils ne peuvent connaître que par moi.
Auteur : |
Claude PELLETIER |
Catégorie : |
Biographies, Mémoires - Autobiographies |
Format : |
Poche (11 x 18 cm) |
Nombre de pages : |
252 |
Couverture : |
Souple |
Reliure : |
Dos carré collé |
Finition : |
Brillant |
ISBN : |
978-2-8083-3592-8 9782808335928 |